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article Médiapart : Une vague de suicides frappe la direction des finances publiques, cible de lourdes suppressions d’emploi

Depuis le début de l’année, treize agent·es de l’administration fiscale ont mis fin à leurs jours, et huit autres ont tenté de le faire. Deux de ces personnes se sont tuées directement sur leur lieu de travail, et deux autres ont tenté de le faire. Le bilan dressé par la Direction générale des finances publiques (DGFiP) et par les syndicats de l’administration chargée de l’impôt en France, d’abord dévoilé par Le Monde le 8 juillet, est très inquiétant.

Et alors que le gouvernement vient d’annoncer la suppression de 3 000 postes de fonctionnaires et le non-remplacement d’un départ à la retraite sur trois, sa tonalité devient encore plus sombre lorsqu’on prend en compte le contexte. La DGFiP est en effet l’administration française qui a subi le plus de suppressions de postes ces quinze dernières années.

En 2008, le service central a été créé par la fusion de la Direction générale des impôts et de la Direction générale de la comptabilité publique. Il était alors fort de plus de 120 000 agent·es. Fin 2024, elles et ils n’étaient plus que 93 800, en comptant les contractuel·les. 32 000 postes y ont été supprimés au total, soit un quart des effectifs. En 2025 encore, 575 emplois ont été supprimés, alors que le gouvernement avait d’abord assuré qu’aucun poste ne disparaîtrait cette année.

Les syndicats anticipent qu’en 2026, les efforts demandés seront toujours importants. Et cette réduction continue se déroule sans que les missions attribuées au personnel soient réduites. « Avec ces réductions, mais aussi les modifications d’organisation que nous vivons en continu, nous en sommes à un point de bascule, on passe dans un autre monde », s’inquiète Sandra Demarcq, la secrétaire générale de Solidaires Finances publiques, le premier syndicat du secteur. « Depuis janvier, le nombre de suicides et de tentatives de suicide est terrifiant », souffle-t-elle.

« Depuis plusieurs années, les enquêtes annuelles menées auprès des agents à la demande de la direction pour savoir comment ils vivent leur travail donnent des résultats très mauvais, alerte la responsable syndicale. Il y a une réelle souffrance et une perte de sens. »

En février, 60 % des presque 53 000 répondant·es ont estimé que la DGFiP « n’évolue pas dans le bon sens » et seulement 54 % se sont déclaré·es satisfait·es de leur charge de travail. Des chiffres bien plus mauvais qu’ailleurs dans les administrations centrales.

« Outre les très nombreuses suppressions de postes, on constate un durcissement du management et on peut dans certains cas parler de maltraitance. Et lorsque des alertes sont lancées, il n’y a pas de réaction, voire pas de compréhension du problème », estime la responsable de Solidaires Finances publiques.
Inquiétude de la direction

Alors, quand les suicides s’accumulent, partout en France et parmi des profils très divers, les interrogations se font lourdes. La DGFiP est devenue « une machine à broyer », affirme un tract récent de la CGT Finances publiques.

« On ne sait pas expliquer pourquoi on en arrive à cette situation cette année. Et notre administration n’a jusqu’à présent rien fait pour nous aider à la comprendre, dit son dirigeant Olivier Villois. Nous voulons que la situation soit analysée, au moins pour ôter le doute qui s’est installé dans les esprits. »

« Nous savons que les conditions de travail ne sont souvent pas l’explication unique dans un passage à l’acte, poursuit-il. Mais nous voudrions savoir à quel point le travail joue, et notamment si les restructurations incessantes que nous avons subies sont un des facteurs déclenchants. »

Certains cas ne sont clairement pas liés au travail, comme celui de cet informaticien lillois qui a choisi de demander une aide à mourir en Belgique. Mais les responsables syndicaux estiment que la direction a été trop longtemps prompte à décider que les suicides n’avaient aucun lien avec le travail, les attribuant presque toujours à des facteurs personnels.

Même s’ils sont conscients des différences dans les situations, les syndicalistes constatent que l’ombre de France Télécom rôde. En 2008 et 2009, l’opérateur public avait compté trente-cinq suicides dans ses rangs, dans le cadre d’une campagne visant à faire partir un maximum de fonctionnaires. Fin 2019, l’entreprise a été condamnée pour harcèlement moral institutionnalisé.

À la suite de l’article du Monde et des multiples reprises médiatiques, la direction de l’administration a admis son inquiétude. « C’est un niveau élevé sur une période aussi courte », reconnaissait déjà en avril la patronne du service, Amélie Verdier, dans un document consulté par l’AFP. « Ce sont des drames qui traumatisent tout notre collectif, et des chiffres préoccupants. Je ne veux en rien les minimiser », a-t-elle dit au Monde.
Briser l’omerta

Une réunion sur le sujet, prévue de longue date, a eu lieu le 9 juillet avec les syndicats. Amélie Verdier s’y est invitée et en a profité pour accepter une de leurs revendications de longue date : désormais, à chaque suicide, une enquête sur les circonstances du drame pourra être lancée si les représentant·es du personnel le souhaitent. Cette décision est-elle rétroactive ? Les détails seront connus en septembre. Des formations aux premiers secours en santé mentale seront également généralisées.

Solidaires Finances publiques réclame aussi la possibilité de faire appel à un organisme extérieur pour mener ces enquêtes. « Nous ne voulons accuser personne, et on sait que ces sujets peuvent mettre en difficulté le collectif de travail, mais il faut parler, briser l’omerta, revendique Sandra Demarcq. C’est l’occasion de discuter sans tabou du travail et de son organisation pour trouver des pistes afin de faire cesser ces drames. »

Le ministre de l’économie a assuré qu’il s’agissait de « drames individuels ». Selon lui, la situation n’est « liée [ni] à des raisons d’organisation, ni de charge de travail, ni de management ».

La CGT demande d’« arrêter les restructurations permanentes, les suppressions d’emplois, les pressions statistiques, l’industrialisation des tâches de travail, l’arbitraire dans les carrières et la mobilité » et appelle à « retrouver de l’humain dans le travail ».

Les syndicats se félicitent de la levée d’un « tabou », voire de « l’omerta » qui entoure les drames que leurs collègues vivent. C’est donc peu dire que la récente intervention du ministre de l’économie, Éric Lombard, les a hérissés. Devant la commission des finances de l’Assemblée nationale, il a assuré le 8 juillet qu’il s’agissait de « drames individuels ». Selon lui, la situation n’est « liée [ni] à des raisons d’organisation, ni de charge de travail, ni de management »…

« Pour nos collègues, c’est un déni total de ce qu’ils vivent », dénonce Olivier Villois. « Nous nous sommes sentis insultés, tout simplement », abonde Sandra Demarcq. Même si la DGFiP a toujours été frappée par des suicides (déjà dix-neuf en 2012, onze en 2023, neuf en 2024), les chiffres actuels parlent d’eux-mêmes. En à peine six mois, ils sont au niveau du taux moyen français – 13,4 pour 100 000 habitant·es en 2022.

« Nous alertons aussi parce que ce qui se passe chez nous a lieu ailleurs dans la fonction publique, souligne Sandra Demarcq. Je pense aux infirmières et aux professeurs en particulier, qui travaillent sous très forte pression, avec des moyens de plus en plus réduits. »

Dan Israel

Article publié le 18 juillet 2025.


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